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2020/11 > L’impossible conciliation entre l’art selon Banksy et les exigences du droit de la PI

Banksy, street-artiste britannique mondialement connu aux dix millions de followers, vient de connaître une amère déconvenue : l’EUIPO (l’Office de l’Union Européenne de la Propriété Intellectuelle) a annulé à la demande de la Société Full Colour Black limited, ce 14 septembre 2020 (1) la marque « Le Lanceur de fleurs ».

« Rage, the Flower Thrower » ou « Le lanceur de fleurs » est une des œuvres les plus emblématiques de l’artiste,  apparue en 2005  sur le mur d’une station de lavage de voitures sur la route principale de Beit Sahour ville palestinienne proche de  Bethléem. Cette œuvre a été largement exploitée par des tiers sous forme d’objets de décoration ou d’affiches.

Une reproduction de cette œuvre avait été déposée à titre de marque par la Société britannique Pest Control Office Limited, créée aux fins de représenter les intérêts de Banksy tout en préservant son anonymat.  Avec cette décision d’annulation, toute une stratégie juridique s’effondre et bien d’autres marques représentant ces œuvres pourraient se trouver également menacées…

Une protection juridique sous un anonymat savamment orchestré

« Banksy a choisi de rester anonyme et, dans la majorité des cas, de peindre des graffitis sur la propriété d’autres personnes sans leur permission plutôt que de les peindre sur des toiles ou sur sa propre propriété», ou bien encore « J’encourage toujours quiconque à copier, emprunter, voler et modifier mon art pour s’amuser, pour la recherche universitaire ou pour l’activisme. Je ne veux pas qu’ils obtiennent la propriété exclusive de mon nom ”… ces quelques lignes tirées de la décision de l’EUIPO posent clairement la situation juridique dans laquelle l’artiste se situe : celle d’un artiste anonyme, souhaitant le rester à tout prix, disséminant son œuvre et en autorisant sa reproduction, mais désirant malgré tout contrôler l’usage commercial qui pourrait en être fait. Situation inextricable…

Une protection via le droit d’auteur impossible à mettre en œuvre

Toute œuvre de street art, dès lors qu’elle est originale, est considérée comme une œuvre de l’esprit et peut alors bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur.

Banksy aurait pu choisir de se placer sur ce terrain, en faisant valoir sa qualité d’auteur pour agir, sur la base de l’article L113-1 du code de la propriété intellectuelle qui dispose que « la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée. ». Mais opter pour une protection via le droit d’auteur aurait impliqué que Banksy renonce à son anonymat et puisse être identifié comme auteur de ses œuvres pour pouvoir agir en contrefaçon.

De plus, au-delà de toute considération sur son anonymat soigneusement mis en scène, Banksy affiche ouvertement un certain mépris pour le droit d’auteur, ce que n’a pas manqué de rappeler la partie adverse en citant cette phrase de l’artiste abondement reprise dans les médias  « copyright is for losers » (2). L’EUIPO en arrive à la même conclusion : « il a également choisi de faire entendre sa voix en ce qui concerne son mépris des droits de propriété intellectuelle, bien qu’il soit clair que son aversion pour les droits de propriété intellectuelle n’annule aucun droit d’auteur ou de marque valablement acquis  ».

Une marque déposée…

Banksy a donc choisi de se placer sous la protection du droit des marques avec pour objectif clairement énoncé  de pouvoir opposer un titre de propriété intellectuelle à toute société ou personne qui voudrait faire commerce de ses œuvres sans son autorisation, toutes autres reproductions de ses œuvres étant libres.

En 2014, une fidèle reproduction de son œuvre a donc été déposée en tant que marque figurative sous le numéro 12 575 155 par la société Pest Control Office, société venant aux droits de l’artiste Banksy, toujours dans cet objectif de préservation de son anonymat. En 2019, la société britannique Full Color Black Limited, qui souhaitait reproduire cette œuvre sur des cartes de vœux, a introduit une action en nullité au titre de l’article 59(1)(b) du RMUE auprès de l’EUIPO à l’encontre cette marque, faisant valoir que son déposant était de mauvaise foi au moment de son dépôt et qu’il n’avait aucune intention de l’utiliser à titre de marque.

Il appartenait donc à la société Pest Control Office Limited de prouver que cette marque n’avait pas été déposée uniquement pour empêcher son utilisation par des tiers et contourner la problématique résultant du droit d’auteur.

… puis exploitée…, mais tardivement et de manière contestable.

La société Pest Control Office Limited a donc fourni différentes preuves d’usage de cette marque, dont il ressort qu’aucune exploitation commerciale ne fut entreprise sur le territoire de l’Union européenne avant 2019. C’est seulement en réponse à cette action en nullité qu’une boutique en ligne  ainsi qu’une boutique éphémère à Londres non-ouverte au public ont vu le jour. L’EUIPO a de ce fait considéré qu’il n’y avait pas eu de réelle volonté de commercialisation de produits ou de services, Banksy ayant déclaré que des produits avaient été créés uniquement pour montrer qu’il existait bien un usage de la marque selon les prescriptions du droit communautaire. Toujours selon l’EUIPO,  Banksy avait par ailleurs explicitement admis que cet usage, « n’était pas un véritable usage de la marque dans le but de créer ou de maintenir une part de marché en commercialisant des produits », mais un usage uniquement entrepris pour contourner la loi.

La position de l’EUIPO

Pour l’EUIPO, le  titulaire de la marque n’a jamais eu en réalité l’intention de l’utiliser conformément à sa fonction commerciale, pour désigner des produits ou des services. L’EUIPO décide donc que le dépôt entrepris a été effectué de mauvaise foi.

Pour qualifier cette mauvaise foi, l’EUIPO retient que :

– l’anonymat de Banksy ne lui permettant pas de faire valoir une protection par le droit d’auteur, le dépôt de la marque avait été effectué dans le seul but d’acquérir un droit exclusif sur ce signe ;

– Banksy n’avait jamais eu l’intention d’utiliser cette marque conformément à sa fonction, et les seuls usages qui ont été rapportés n’ont été réalisés qu’une fois la procédure d’annulation initiée et dans le but de contourner la loi.

Cette décision n’est pas sans conséquence puisque la Société Full Colour Black Limited a procédé à d’autres dépôts de marque des œuvres emblématiques de Banksy. Elle  remet en cause sa stratégie de protection et l’obligera peut être à sortir de l’anonymat. A tout le moins, elle l’oblige à adopter une position cohérente entre la renonciation à se prévaloir de droits de propriété intellectuelle et la volonté de contrôler néanmoins l’exploitation de son œuvre.

(1) Décision n°33843C du 14 septembre 2020

(2) tirée de son livre Banksy, Wall and Piece.

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