Rechercher votre expert

Actualités

FLASH INFO PI

2021/09 > Enregistrement des marques sonores à la suite du Règlement (UE) 2017/2001 : quelle mise en musique du juge européen ?

Le Tribunal de l’Union européenne (TUE) a, le 7 juillet 2021, rejeté le recours de la société allemande Ardagh Metal Beverage Holdings GmbH & Co. KG engagé à l’encontre de la décision du 24 juillet 2019 de la deuxième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), refusant l’enregistrement de la marque sonore déposée par celle-ci (TUE, 7 juillet 2021, T 668/19) (1).

On rappellera qu’une marque sonore est une marque constituée d’un son ou une combinaison de sons. L’article 4(b) du Règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 impose que le signe déposé à titre de marque fasse l’objet d’une représentation dans le registre des marques de l’Union européenne, d’une manière qui permette aux autorités compétentes et au public de déterminer précisément et clairement l’objet bénéficiant de la protection conférée à son titulaire.

Quand ce signe est une marque sonore, son dépôt était, avant l’adoption du nouveau Règlement 2017/1001 précité, effectué sous la forme graphique,  une partition le plus souvent.

Ainsi, MICROSOFT est, par exemple, titulaire d’une marque sonore de l’Union européenne n° 018132058 représentée de la manière suivante :

La nécessité d’une représentation graphique ayant été abandonnée avec le Règlement 2017/1001, il est maintenant possible de procéder à un dépôt sous la forme d’un fichier audio de type MP3. Tel est ce que prévoit l’article 3 du Règlement d’exécution (UE) 2018/626  du 5 mars 2018.

C’est ainsi que le 6 juin 2018, la société Ardagh Metal Beverage Holdings GmbH & Co. KG a déposé une marque sonore n° 017912475 auprès de l’EUIPO pour des boissons, sous la forme d’un fichier audio de 14 secondes, marque constituée d’un bruit d’ouverture d’une canette de boisson, d’un silence d’une seconde et pour finir de neuf secondes d’un bruit de pétillements.

Ecouter la marque sonore n° 017912475 :

Ce dépôt a fait l’objet d’un rejet en date du 8 janvier 2019 de la division d’examen au motif que ce signe ne pouvait être perçu comme identifiant l’origine commerciale des produits concernés. La déposante  a alors engagé un recours devant la chambre de recours de l’EUIPO puis auprès du Tribunal de l’Union européenne, recours tous deux rejetés.

La chambre de recours avait considéré que pour pouvoir être enregistré comme marque, un son devait avoir une certaine prégnance ou une capacité à être reconnu, de sorte qu’il puisse indiquer aux consommateurs l’origine commerciale des produits ou des services en cause.

Le Tribunal de l’Union européenne quant à lui, se prononce ainsi pour la première fois sur l’enregistrement d’une marque sonore déposée sous format audio. Il en profite pour donner quelques précisions sur la notion de caractère distinctif attaché à ces marques particulières qui doivent, comme toutes les marques, être susceptibles d’identifier (de manière sonore) l’origine des produits ou des services qu’elles désignent.

La marque sonore doit, en effet, permettre de déterminer l’origine commerciale des produits et services pour lesquels elle est déposée et de les distinguer des produits ou services commercialisés par d’autres titulaires. L’appréciation de cette condition de validité est effectuée d’une part en fonction des produits et services désignés et d’autre part en fonction de la perception par le public pertinent du signe déposé en tant que marque.

Le Tribunal insiste en premier lieu sur le principe selon lequel les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques sonores sont les mêmes que pour les autres marques. Le Tribunal  précise ensuite que la perception du consommateur moyen n’est  néanmoins pas la même, en fonction du type de marque concernée, et cite à titre d’exemple la marque tridimensionnelle.

La déposante soutenait à cet égard que la chambre de recours était partie du présupposé selon lequel la marque demandée devait diverger de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur pour remplir sa fonction d’indication de l’origine commerciale des produits en cause alors que ce critère, dégagé pour les marques tridimensionnelles, n’avait pas à être appliqué en l’espèce.

Si le Tribunal confirme que le critère précité ne saurait être appliqué aux marques sonores puisque la perception du consommateur n’est pas nécessairement la même dans le cas d’une marque tridimensionnelle constituée par l’apparence du produit lui-même ou de son emballage, que dans le cas d’une marque verbale, figurative ou sonore, qui consiste en un signe indépendant de l’aspect extérieur ou de la forme de produits, pour autant, il considère que la marque sonore de la société Ardagh Metal Beverage Holdings GmbH & Co. KG n’est pas distinctive au sens des articles 4 a) et 7 du Règlement 2017/1001.

Cette marque est en effet, pour le Tribunal, constituée d’un son disposant d’un lien direct avec les produits désignés : cette marque sera perçue comme un élément fonctionnel des produits en cause, le son du pétillement des bulles étant immédiatement identifié par le public pertinent comme renvoyant à des boissons, peu important qu’elles comportent du gaz carbonique ou non.

Même si la marque demandée comporte deux caractéristiques, en sus du bruit d’ouverture de la cannette, à savoir un silence d’environ une seconde et le son du pétillement qui en dure environ neuf, la combinaison des éléments sonores et de l’élément silencieux n’est pas inhabituelle dans sa structure, les sons d’ouverture d’une canette, d’un silence et d’un pétillement correspondant à des éléments prévisibles et usuels sur le marché des boissons. Dès lors cette combinaison ne permet pas au public pertinent d’identifier lesdits produits comme provenant de ceux d’une entreprise déterminée et de les distinguer de ceux d’une autre entreprise.

Le Tribunal revient, en second lieu, sur l’affirmation de l’EUIPO selon laquelle il serait inhabituel sur les marchés des boissons et emballages de boissons de ne signaler l’origine commerciale d’un produit qu’à l’aide de sons, de sorte que le son en l’espèce ne pourrait remplir la fonction de marque. L’EUIPO avait en effet fait valoir que  si le signe sonore ne retentit que lors de la consommation du produit en cause, et donc après son acquisition, il ne peut aider le public pertinent à s’orienter dans son choix d’achat.

Le Tribunal réfute cet argument au motif que la plupart des produits sont silencieux en eux-mêmes, et ne produisent un son qu’au moment de leur consommation. Ainsi le simple fait qu’un son ne puisse retentir que lors de la consommation d’un produit ne signifie pas en tant que tel, que l’usage de sons pour signaler l’origine commerciale d’un produit sur un marché déterminé serait inhabituel et que ce son ne puisse intrinsèquement remplir la fonction de marque.

Le Tribunal confirme donc le principe selon lequel un son est susceptible d’être un signe identificateur d’une origine à part entière et ainsi une marque parfaitement valable.

Certaines sociétés l’ont bien compris, qui ont entrepris d’enregistrer des marques sonores auprès des Offices de propriété intellectuelle offrant cette possibilité,  tels ceux des Etats-Unis, du Japon, de la Chine, de la France ou bien encore l’EUIPO. On se souviendra à cet égard du son du Lion rugissant de la Metro-Goldwyn-Mayer Lion Corporation (MGM), enregistré en tant que marque de l’Union européenne n° 005170113 pour désigner des produits et services en classes 9, 38, 41 et 42.

Ecouter la marque sonore n°005170113 :

Le signe sonore peut en effet permettre de créer une identité différente pour son titulaire, le distinguant d’une manière nouvelle de ses concurrents. Il peut aussi servir à mieux s’adresser à un public particulier, malvoyant par exemple.

Encore faut-il que ce signe respecte les conditions qui permettent de considérer qu’une marque est valable, et de ce point de vue la décision du Tribunal n’est pas très encourageante. Il faut espérer que la jurisprudence qui sera dégagée au fur et à mesure des décisions qui seront rendues, sera moins restrictive qu’en matière de marques tridimensionnelles, dont l’enregistrement est aujourd’hui devenu une gageure.

(1) Tribunal de l’Union européenne (TUE) 7 juillet 2021, T 668/19 Ardagh Metal Beverage Holdings GmbH & Co. KG c. EUIPO

CONTACTER UN EXPERT

Retours aux articles