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2019/10 > L’originalité n’est pas la beauté

Dans un arrêt du 12 septembre 2019 (C-683/17), la Cour de Justice de l’Union européenne apporte des précisions quant à la protection par droit d’auteur dont peut bénéficier un modèle.

En effet, qu’il découle du Règlement (CE) n°6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires (art.96.2) ou de la Directive (CE) 98/71 du 13 octobre 1998 sur la protection juridique des dessins et modèles (art.17), le droit européen consacre, la possibilité pour les œuvres dites d’arts appliqués d’un cumul de protection entre le droit des modèles et le droit d’auteur accordé à une œuvre artistique, cumul cher à la  théorie française dite «de l’unité de l’art », chaque type de protection étant néanmoins soumis à ses propres règles.

Toutefois, l’harmonisation européenne reste limitée puisque l’étendue de la protection par droit d’auteur et les conditions auxquelles cette protection est accordée restent du ressort des Etats membres.

La Cour de Justice de l’Union européenne a été amenée à dire, sur question préjudicielle posée par le Supremo Tribunal de Justiça (Cour suprême du Portugal), si la protection au titre du droit d’auteur, et ainsi la qualification d’œuvre, pouvait être octroyée à la seule condition qu’un modèle produise un effet esthétique au-delà de son objet utilitaire.

Cette notion d’œuvre était ainsi au cœur du litige opposant deux concurrents créateurs de vêtements à propos de l’application de la Directive 2001/29 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins, et notamment de son article 2 a) qui garantit aux auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction de leurs œuvres.

Le premier, se plaignant de la copie de certains de ses modèles de vêtement,  avait assigné le second devant les juridictions portugaises en violation de ses droits d’auteur. Il prétendait que ses modèles étaient des créations intellectuelles originales, et ainsi des œuvres, à partir du moment où ils produisaient un effet esthétique. Les juridictions portugaises avaient estimé en 1ère et 2ème instance que « la protection du droit d’auteur bénéficiait aux œuvres d’art appliqué aux dessins et modèles industriels et aux œuvres de design à la condition que celles-ci présentent un caractère original, c’est-à-dire qu’elles constituent le résultat d’une création intellectuelle propre à leur auteur sans que soit exigé un degré particulier de valeur esthétique ou artistique » pour considérer que les modèles de vêtement en question bénéficiaient d’une telle protection.

La Cour Suprême, ensuite saisie, a considéré, pour sa part, que la question du degré d’originalité requis pour que le modèle puisse être qualifié d’œuvre, était débattue en doctrine et jurisprudence et a donc saisi la Cour de Justice de l’Union européenne tout particulièrement du point de savoir si la législation nationale portugaise qui confère une protection au titre du droit d’auteur à des modèles dès lors que ceux-ci génèrent un effet visuel propre et notable d’un point de vue esthétique était contraire à l’article 2 a) de la Directive.

Pour y répondre, la CJUE se réfère aux différents textes relatifs à la protection de la propriété intellectuelle et tout particulièrement à la directive sur le droit d’auteur ainsi qu’à la Directive et au Règlement sur les dessins et modèles pour rappeler que la notion d’œuvre est une notion autonome du droit de l’Union, qui doit être appliquée de façon uniforme et qui suppose la réunion de deux éléments cumulatifs.

Ainsi, la notion d’œuvre implique qu’il existe :

  • Un objet original : il est nécessaire et suffisant que cet objet reflète la personnalité de l’auteur en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier. Un objet réalisé en fonction de considérations techniques ne laissant pas la place à l’exercice d’une liberté créatrice, ne peut être qualifié d’original (Points 30 et 31).
  • Un objet identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité pour que cet objet protégé puisse être connu avec clarté, ce qui exclut que cet objet soit identifié sur la base de sensations, intrinsèquement subjectives (points 34 et 35)

Restait  à savoir dans quelles conditions cette protection pouvait s’appliquer en l’espèce. La CJUE relève à ce sujet que l’effet esthétique susceptible d’être produit par un modèle est le résultat de la sensation intrinsèquement subjective de beauté ressentie par chaque personne appelée à regarder celui-ci. Cet effet ne permet pas de caractériser en tant que tel un objet identifiable comme étant une œuvre avec suffisamment de précision et d’objectivité. En conséquence même si ces considérations d’ordre esthétique participent de l’activité créatrice, la circonstance que le modèle génère un effet esthétique ne permet pas en soi de déterminer si ce modèle est une œuvre à savoir une création intellectuelle reflétant la liberté de choix et la personnalité de son auteur.

Ainsi, la CJUE dit pour droit que  l’article 2 de la directive 2001/29 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins s’oppose à ce qu’une législation nationale confère une protection, au titre du droit d’auteur, à des modèles tels que les modèles de vêtements, au motif que, au-delà de leur objectif utilitaire, ceux-ci génèrent un effet visuel et notable du point de vue esthétique.

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