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2018/02 > Dessins et modèles européens : la CJUE donne son interprétation de la clause de réparation

La question de la protection par le droit des dessins et modèles des pièces détachées a depuis toujours été une question controversée au sein des différents pays de l’Union Européenne.

Dans la Directive CE n°98/71 du 13 octobre 1998 sur la protection juridique des dessins et modèles et faute pour les Etats membres d’avoir pu trouver un accord,  une position de statu quo a été finalement adoptée en ce sens que l’article 14 de la Directive prévoit qu’ils peuvent continuer à appliquer les règles de leurs législations nationales et ne peuvent les modifier que dans le sens d’une libéralisation du marché concerné.

L’article 110 §1 du Règlement (CE) n° 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires intitulé « Dispositions transitoires » exclut quant à lui de la protection au titre des dessins et modèles européens les pièces d’un produit complexe utilisées pour réparer ce produit complexe afin de lui rendre son apparence initiale, en ce sens qu’un tel dessin et modèle ne peut être utilisé pour être invoqué à l’égard d’un tiers pour lui interdire sans le consentement de son titulaire, la commercialisation d’un produit incorporant ce dessin ou modèle.

Cette disposition est connue sous le nom de « clause de réparation ».

Le 20 décembre 2017, la Cour De Justice de l’Union Européenne (CJUE) a rendu un arrêt important dans deux litiges (Audi et Porsche Aff. Jointes C-397/16 et C-435/16) relatifs à l’interprétation de l’article 110 §1 du règlement à propos de la fabrication et la commercialisation par le défendeur de jantes automobiles sans autorisation des sociétés Audi et Porsche, toutes deux titulaires de dessins et modèles européens sur ces mêmes produits.  Le défendeur, poursuivi pour contrefaçon, faisait valoir au visa de l’article  110 §1, qu’aucune protection au titre de ces dessins et modèles ne pouvaient lui être opposée. Différentes questions préjudicielles étaient posées.

La Cour va s’attacher en premier lieu à définir la notion de « pièce d’un produit complexe », puis les conditions d’exclusion de la protection au sens de l’article 110 §1 pour enfin imposer certaines obligations aux fabricants ou vendeurs de telles pièces.

La notion de pièce de produit complexe n’est pas subordonnée à une condition liée à l’apparence de ce produit complexe.

La cour parvient à cette conclusion en s’appuyant sur l’état des discussions antérieures sur la « clause de réparation » et sur la rédaction même de l’article 110 §1.

La question préjudicielle posée consistait en effet à savoir, dans la mesure où l’article 110 §1 vise les pièces de produit complexe destinées à lui rendre son apparence initiale, si la forme de ces pièces, protégées par modèles, devait être déterminée de façon invariable par  l’apparence du produit complexe auquel elles participent.

Si la réponse donnée à cette question était positive, alors des pièces comme des jantes n’entraient pas dans cette définition et n’étaient pas concernées par l’article 110 §1 puisqu’on le sait, la forme des jantes automobiles varie selon les modèles et les options disponibles pour un même véhicule.

La Cour considère que l’article 110 §1 prévoit uniquement que la pièce en question soit une pièce d’un produit complexe utilisée dans le but de permettre la réparation de ce produit en vue de lui rendre son apparence initiale. En revanche, la Cour rappelle que le Règlement ne prévoit pas que l’apparence de ce produit complexe conditionne la forme même de la pièce de ce produit complexe.

Une interprétation autre, selon la Cour, reviendrait à limiter l’application de cet article aux seules pièces dont la forme est imposée par le produit complexe auquel elles participent et qui ne peuvent être choisies, entre plusieurs formes, par le consommateur final auquel le produit complexe s’adresse. Ainsi s’agissant des jantes automobiles, ces pièces doivent bien être considérées comme des pièces de produits complexes et le fait que différents modèles de jantes existent pour un même véhicule n’est pas exclusif de la possible application de l’article 110 §1 à ces mêmes pièces quand elles sont protégées par modèle.

Si cette définition des pièces de produits complexes peut sembler large, les conditions d’exclusion de la protection par le droit des dessins et modèles, paraissent, elles, précisément définies par la CJUE.

Les conditions d’exclusion de la protection des pièces de produits complexes au titre de l’article 110 §1 du Règlement du 12 décembre 2001.

Selon la Cour, pour que la protection au titre des dessins et modèles européens ne puisse être invoquée pour ces pièces, les conditions suivantes doivent être réunies :

  • Présenter un caractère visible lors de l’utilisation normale du produit dans lequel elles s’insèrent. Les jantes automobiles répondent bien à ce critère. Quoi qu’il en soit, et de toute façon, les pièces non visibles lors de l’utilisation normale du produit dans lequel elles s’insèrent, ne peuvent être protégées à titre de dessins ou modèles.
  • Faire partie des pièces d’un produit complexe, c’est-à-dire des différents composants, conçus pour être assemblés en un article industriel ou artisanal complexe, pièces qui peuvent être remplacées de manière à permettre le démontage et le remontage du produit et en l’absence desquelles le produit complexe ne pourrait faire l’objet d’une utilisation normale.
  • L’utilisation de la pièce d’un produit complexe couvre la fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’importation, l’exportation ou l’utilisation d’un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage du produit à ces mêmes fins.  Cette notion est ainsi entendue de manière large et englobe toute utilisation directe ou indirecte aux fins de réparation du produit complexe.
  • Etre en présence d’une réparation du produit complexe devenu défectueux, et non pour des motifs « d’agrément ou de simple convenance ».

La Cour conclut que l’article 110 §1,  ou autrement dénommé « clause de réparation » s’applique uniquement aux pièces d’un produit complexe qui sont visuellement identiques aux pièces d’origine. Ainsi, elle exclut du bénéfice de la « clause de réparation », toute pièce de rechange qui ne correspondrait pas, par des caractéristiques de lignes, contours, couleurs, textures ou dimensions, à la pièce d’origine. Si cette condition d’identité n’est pas réunie, il y aura atteinte au droit exclusif du titulaire du droit de modèle. On observera ainsi que cette interprétation est tout particulièrement susceptible de viser le « tuning ».

Enfin, la Cour fait sienne la suggestion de l’Avocat général d’imposer une obligation de diligence à l’égard des utilisateurs finaux pesant sur les  fabricants ou vendeurs de pièces de produits complexes, qui se prévalent de la clause dite « de réparation » pour échapper à la protection susceptible d’exister sur ces pièces à titre de dessins ou modèles. Ils doivent ainsi  informer par une indication claire et visible sur tous les documents et emballages attachés à ces pièces qu’ils ne sont pas titulaires des droits de dessins et modèles sur celles-ci  et que ces dernières sont à usage exclusif de réparation du produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale. La Cour précise également qu’il leur incombe de veiller par des moyens appropriés et notamment contractuels, que ces utilisateurs ne destinent pas ces pièces à une utilisation incompatible avec l’article 110 §1 du Règlement.

La Cour de Justice de l’Union Européenne rejoint ainsi la Résolution législative du Parlement du  12 décembre 2007 sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive de 1998 sur la protection juridique des dessins ou modèles (COM(2004)0582 – C6-0119/2004 – 2004/0203(COD)), notamment en ce que cette proposition prévoyait une information du public sur l’origine de la pièce de réparation. La proposition du Parlement était cependant plus précise et il n’est pas exclu qu’à la suite de la décision rendue par la CJUE, cette proposition soit relancée. 

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