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2017/11 > Application de la règle de l’épuisement en cas de cession du droit de PI

Depuis les arrêts Centrafarm/ Sterlit et Centrafarm Wintrop, du 31 octobre 1974, aff. 15/74 et 16/74, la Cour de Justice de l’Union Européenne dit pour droit que les dispositions des articles 30 à 36 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) s’opposent à ce que le titulaire d’un droit de propriété industrielle exerce son droit exclusif pour l’opposer à la libre circulation dans l’ensemble de l’Espace Economique Européen d’un produit revêtu de ce droit, qu’il a consenti à mettre pour la première fois sur  le marché d’un Etat membre. Dès lors, il ne peut plus s’opposer à l’importation de ce même produit dans l’un quelconque des pays membres de l’Union européenne.

Ce principe est intégré dans le Code de la Propriété Intellectuelle et concerne tant les brevets, que les marques, modèles et droits d’auteur.

En matière de marques, ce principe s’applique également lorsque le droit de PI est une marque appartenant à différents titulaires, localisés dans différents Etat Membres, lorsqu’ils sont liés économiquement. L’élément déterminant de ce lien économique est défini comme la possibilité d’exercer un contrôle sur la qualité des produits marqués. En principe toutefois, un tel lien économique n’existe pas en cas de cession volontaire de la marque à un tiers. (Aff. C-9/93 du 22 juin 1994 – Ideal Standard).

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) va néanmoins devoir se pencher à nouveau sur ce sujet à propos de la marque « Schweppes », marque de renommée mondiale pour des boissons dans une affaire (Aff. C-291/16) au sujet de laquelle Monsieur l’Avocat Général M. Paolo Mengozzi vient de rendre ses conclusions le 12 septembre 2017.

Dans cette affaire, deux sociétés distinctes sont titulaires des droits sur la marque de renommée mondiale SCHWEPPES, chacune pour des territoires différents de l’Union. En effet, depuis 1999, le groupe The Coca-Cola Company est propriétaire de la marque pour 13 Etats de l’Union européenne dont le Royaume-Uni tandis que le groupe Orangina reste titulaire celle-ci pour les autres.

Les marques espagnoles Schweppes sont au nom de Schweppes International Ltd, filiale anglaise du groupe Orangina, qui les a données en licence à sa filiale espagnole. Ayant constaté l’importation et la commercialisation en Espagne de produits identiques marqués Schweppes, en provenance du Royaume-Uni, par un importateur s’approvisionnant auprès de la filiale anglaise de Coca-Cola, la société licenciée espagnole l’a assigné en contrefaçon devant le Tribunal de Commerce n°8 de Barcelone au motif que ces produits n’avaient pas été fabriqués et commercialisés par elle-même et que le consommateur n’était pas en mesure d’en distinguer l’origine commerciale au regard de ses propres produits.

L’importateur ne pouvait nier l’identité des signes et des produits en cause. Cependant, il a fait valoir, en défense, l’épuisement des droits sur la marque, en raison de l’existence d’un consentement tacite entre les deux sociétés qui en sont titulaires, et de l’existence de liens juridiques et économiques entre elles pour l’exploitation commune de cette marque (point 9). Il énonçait un certain nombre de comportements des sociétés en cause qui contribuaient, selon lui, à maintenir une image globale de la marque (point 10).

La juridiction espagnole pose alors à la CJUE quatre questions préjudicielles (point 11), résumées au point 51 des conclusions de l’Avocat Général, et principalement la question de savoir si la société espagnole, licenciée pour la marque espagnole « Schweppes », peut légitimement s’opposer à ce qu’un tiers importe en Espagne, des produits revêtus de ces marques et mis pour la première fois sur le marché au Royaume-Uni par une société différente (point 51).

Pour y répondre, l’Avocat Général rappelle que la règle de l’épuisement du droit ne s’applique pas, en principe, lorsque l’unicité du contrôle de la marque a été rompue à la suite d’une cession volontaire de celle-ci. Il va cependant soutenir la position développée dans ses conclusions par la Commission dans cette affaire. Cette dernière avait en effet fait valoir que l’épuisement du droit peut trouver application « lorsque la fabrication et la commercialisation de produits revêtus de marques identiques parallèles sont soumises à une politique et à une stratégie commerciales uniques conduites par les titulaires de ces marques. » (point 70).

Selon l’Avocat Général, la notion de « liens économiques » permet de couvrir un spectre plus large de relations entre les entreprises dans la vie des affaires (point 76) avec pour conséquence un épuisement du droit lorsque la mise dans le commerce par les titulaires parallèles de la marque ne peut pas être considérée comme ayant été effectuée sans le consentement de l’autre. Ainsi, il estime que peuvent être liés économiquement des titulaires de marques coordonnant leurs politiques commerciales dans le but d’exercer un contrôle conjoint sur l’utilisation de leurs marques respectives (point 82).

Il indique que cette conclusion est conforme non seulement à l’équilibre recherché entre les objectifs antagonistes de la libre circulation des marchandises et de la protection des droits conférés par la marque, et ne peut être contredite dans la mesure où l’accord des titulaires pour une gestion en commun de leurs marques s’assimile aux accords entre donneur de licence et licencié, fabricant et concessionnaire ou encore entre sociétés partie d’un même groupe. Il souligne ainsi que « c’est l’unicité de contrôle sur la marque résultant de toutes ces relations, et non leurs aspects formels, qui déclenche l’épuisement ».

Une discussion est tout de même ouverte sur l’absence de rémunération du second titulaire de la marque lorsque la première mise en circulation est opérée par l’autre titulaire. Toutefois, selon l’Avocat Général, l’objet spécifique du droit à la marque est « le droit d’utiliser la marque pour la première mise en circulation d’un produit » et en conséquence, le principe de l’épuisement est sans lien avec la question de savoir si le titulaire d’un droit de marque obtient une récompense équitable de la vente. La perception d’une rémunération n’est pas l’objet spécifique de ce droit et ce qu’il convient de rechercher est de savoir si le titulaire du droit a consenti ou non à la mise en circulation (point 87). L’Avocat général prend soin d’écarter un tel raisonnement en matière  de brevets.

L’Avocat Général précise également que les contrats de cession de marque permettent de prévoir une interdiction réciproque de vente sur certains territoires (point 90). C’est donc au moment du contrat que les titulaires de marques devront régler cette question, sous réserve toutefois des règles du droit de la concurrence.

A la question de la charge de la preuve de l’existence d’une unicité de contrôle, l’Avocat général se range à l’avis de la commission qui souhaite un aménagement de la règle de principe selon laquelle cette charge appartient au tiers, c’est-à-dire à l’importateur parallèle qui invoque l’épuisement du droit. Un renversement de la charge de la preuve avait déjà été admis en matière de distribution sélective dans l’affaire Van Doren (C-244/00 du 8 avril 2003) dans laquelle il avait été décidé que le titulaire de la marque devait rapporter la preuve que, s’il avait consenti à une mise sur le marché en dehors de l’Union, il en avait bien interdit la réimportation sur ce même territoire. Ainsi, dans la présente hypothèse, il reviendrait au titulaire qui entend s’opposer à l’importation de produits marqués sur son territoire, de prouver qu’aucun accord ou aucune coordination en vue de soumettre la marque à un contrôle unique n’existent avec le titulaire de la marque de l’Etat membre de provenance de ces produits (point 95).

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