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2016-11 > Cassation dans l’affaire Laguiole

La loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 dite Loi Hamon, relative à la consommation est venue renforcer la protection attachée aux signes distinctifs des collectivités territoriales, objets de litiges toujours plus nombreux.

L’arrêt de cassation rendu le 4 octobre 2016 concerne l’un des nombreux contentieux relatif au terme Laguiole. Il oppose la Commune de Laguiole aux titulaires des marques comportant le terme « Laguiole »  commercialisées internationalement pour des produits de toute nature par le biais de sociétés licenciées, alors que ces produits fabriqués pour la plupart, en Chine ne proviennent aucunement de la commune Laguiole, réputée pour ses couteaux ornés d’une abeille (pourtant non fabriqués à Laguiole) et son fromage.

Que ce soit en première instance ou devant la Cour d’Appel de Paris, l’action de la commune de Laguiole pour pratiques commerciales trompeuses, nullité des marques pour absence de disponibilité, caractère descriptif et trompeur, et fraude, a été rejetée (Cour d’appel de Paris, 4 avril 2014 N°12/20559).

Les juges ont ainsi considéré que le consommateur, pour les produits autres que ceux ayant fait la réputation de la commune, ne pouvait raisonnablement les acheter en pensant qu’ils provenaient de Laguiole ou encore que ce nom orientait leur achat. Cette opinion a été confortée par un sondage initié par la commune de Laguiole qui, malheureusement pour elle, a conclu que 53% des sondés ne connaissent pas ce village de 1300 habitants. La Cour a même considéré, s’agissant de l’action en déchéance, également initiée par la commune, pour défaut d’exploitation de certaines des marques déposées, qu’elle n’avait pas d’intérêt à agir, dès lors qu’elle s’abstenait de démontrer que les produits et services, visés par ces marques non utilisées, entravaient ou étaient susceptibles d’entraver son activité propre.

La Cour de Cassation opère une appréciation tout à fait autre et casse partiellement l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de Paris.

  • Sur les pratiques commerciales trompeuses :

Sur ce point, la Cour Suprême dit pour droit qu’  « une pratique commerciale est réputée trompeuse lorsque, soit, elle contient des informations fausses, soit elle est susceptible d’induire en erreur le consommateur moyen, et qu’elle est en outre de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique de celui-ci en le conduisant à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement ». En rejetant la demande formée sur cette base au motif qu’une confusion doit être avérée, et qu’un simple risque ne suffit pas, la cour d’appel a ainsi violé, selon la Cour Suprême, les textes concernés. La Cour de cassation critique aussi la Cour d’Appel qui n’a pas recherché si l’utilisation du nom de Laguiole connue par 47% d’un échantillon représentatif de la population française, fût-ce en premier lieu pour ses couteaux et son fromage, ne pouvait pas  induire en erreur le consommateur et altérer de manière substantielle son comportement d’achat pour d’autres produits.

Elle considère enfin que les juges de fond, qui ont estimé que l’évocation du nom de la commune ou encore la présentation de multiples produits marqués Laguiole, sur le site www.laguiole.tm.fr, n’étaient pas trompeuses de leur origine géographique, ont dénaturé les faits de la cause, alors qu’il était fait expressément référence sur ce site, à la ville de Laguiole décrite comme « notre village ».

  • Sur la nullité des marques litigieuses :

Contrairement aux juges du fond, la Cour de Cassation ne considère pas cette demande comme étant irrecevable. En effet, elle retient que la commune de Laguiole avait fait valoir qu’« aucun des titulaires desdites marques n’étant un administré laguiolais, ils n’avaient pas d’ intérêt légitime à leurs dépôts et si ceux-ci affirmaient de manière péremptoire leur bonne foi pour soutenir que cette demande était irrecevable, elle avait déjà démontré que toutes ces marques avaient été déposées dans la seule intention de lui nuire. »

Par ailleurs, les juges du fond avaient décidé que la commune n’avait pas démontré que les titulaires des marques Laguiole  avaient agi avec l’intention de lui porter préjudice, et l’empêchaient de ce fait de tirer profit du nom de Laguiole. La Cour de Cassation considère en revanche que la Cour d’Appel aurait dû rechercher comme la commune le lui demandait, « si le dépôt d’un ensemble de marques comprenant le nom  » Laguiole « , parfois combiné au dessin emblématique d’une abeille, pour désigner de nombreux produits et services sans lien de rattachement avec cette commune, ne s’inscrivait pas dans une stratégie commerciale visant à priver celle-ci, ou ses administrés actuels ou potentiels, de l’usage de ce nom nécessaire à leur activité, caractérisant ainsi la mauvaise foi de MM. X… et de la société Laguiole et entachant de fraude les dépôts effectués. »

  • Sur la déchéance des droits du titulaire sur les marques litigieuses :

La Cour de Cassation considère que la déchéance pour non-usage peut être demandée par toute personne intéressée, et que justifie d’un tel intérêt la commune dont le nom avait été déposé à titre de marque pour toutes les classes ou presque, ce dont il résultait une  entrave au libre usage de ce nom pour l’exercice de ses activités.   A l’argument selon lequel la commune de Laguiole ne pourrait en qualité de collectivité territoriale  exercer une activité économique, la Cour Suprême répond qu’une commune peut intervenir en matière économique et sociale dans les conditions prévues par le code général des collectivités territoriales. »

Il est à noter que si, pour lutter contre ce type de pratique, les collectivités territoriales ont pris depuis longtemps l’habitude de déposer leur nom à titre de marque, la loi Hamon du 17 mars 2014 a désormais élargi leurs moyens de défense en leur donnant le droit de faire des observations devant l’INPI lors du dépôt d’une marque et en leur ouvrant le droit de s’opposer à son enregistrement, même si pour le moment ces dispositions sont encore assez rarement mises en œuvre.

Brève : La loi Sapin II modifie le code de la propriété intellectuelle quant à l’étendue des missions de l’INPI, la protection du certificat d’utilité et la création d’un dépôt provisoire de brevet. Ces dispositions sont dans l’attente de leur décret d’application.

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