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2016/07 > Brexit : Quelques réflexions prospectives dans l’attente de ce qui se décidera réellement

Le peuple britannique a exprimé son souhait de quitter l’Union Européenne  par référendum du 23 juin 2016. En conséquence, il revient maintenant au Royaume Uni d’organiser ses « adieux » et d’engager la procédure de retrait telle que prévue par l’article 50 du Traité sur l’Union Européenne (TUE). Ce n’est  qu’après notification de son retrait au Conseil européen que les négociations pourront être officiellement engagées pour aboutir à un Accord fixant les modalités de ce retrait.

Il est à cet égard important de noter que selon l’article 50 TUE, les Traités de l’Union Européenne cessent de s’appliquer à l’égard de l’Etat Membre sortant dans un délai de 2 ans à compter de la notification par celui-ci de sa sortie.

A ce jour, le Royaume Uni n’a toujours pas notifié son retrait au Conseil européen, ni d’ailleurs tiré les conséquences de ce référendum en application de ses propres règles parlementaires, si ce n’est la formation d’un nouveau gouvernement. On le rappelle en effet, le référendum n’est que consultatif au Royaume Uni et que pour s’engager vers la sortie effective, il est nécessaire que le Parlement et/ou le gouvernement le décide officiellement. Cette question est actuellement devant les tribunaux anglais.

Quoi qu’il en soit, les droits de PI sont parmi les actifs incorporels importants concernés par cette situation inédite et les titulaires de ces mêmes droits s’interrogent sur les conséquences de cette sortie du Royaume Uni de l’Union européenne, nommée médiatiquement le « Brexit ».

En matière de brevet, le retrait britannique n’est d’aucun effet vis-à-vis du brevet européen qui reste et restera en application dans les mêmes conditions  qu’aujourd’hui même après la notification du retrait au titre de l’article 50 TUE. De même, le Royaume-Uni reste membre du PCT. En effet, la Convention sur le brevet européen tout comme le PCT sont des conventions particulières dont le Royaume Uni est signataire en tant qu’état national et dont la situation juridique n’est donc pas modifiée.

Le devenir de l’Accord sur le Brevet Unitaire Européen et sa ratification par le Royaume Uni sont, en revanche parmi les sujets les plus délicats en matière de PI. En effet, cet accord ne peut entrer en vigueur sans la ratification de ce pays, sachant que cette ratification peut théoriquement valablement intervenir avant la notification par le Royaume Uni de son retrait, c’est-à-dire dès à présent. L’accord pourrait-il alors entrer réellement en vigueur si cette ratification intervenait?  Nul ne le sait. Si comme il est probable, le Royaume Uni au final ne le ratifie pas et sort du système, un nouvel état, à savoir l’Italie, pourrait-il prendre sa place et permettre l’entrée en vigueur du système ?

Quoi qu’il en soit, une fois sorti de l’Union Européenne, le Royaume Uni ne pourra plus faire partie du système du brevet unitaire tel qu’il est conçu actuellement,  puisque l’appartenance à l’Union en est une des conditions.  D’importantes négociations seraient nécessaires pour élaborer un Accord modifié, si l’on envisageait au final de permettre au Royaume-Uni de participer à ce système en dépit de sa sortie de l’Union.

Reste à savoir si le devenir de l’Accord sur le Brevet Unitaire Européen ne pourra pas être négocié dans l’accord de sortie et ce d’autant qu’une des divisions centrales destinées à connaître des litiges en matière de brevet unitaire, devait être localisée à Londres. Ceci étant, il est aussi possible que certains états s’y opposent, au vu de la perspective intéressante de pouvoir prétendre à la division centrale sur leur territoire.

La conclusion à ce jour est que l’entrée du système prévue pour 2017 sera sauf hypothèse improbable, retardée.

Les marques et modèles européens ont quant à eux été créés par des règlements européens d’application directe aujourd’hui en vigueur (Règlement (UE) 2015/2424 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 16 décembre 2015 modifiant le règlement (CE) no 207/2009 du Conseil sur la marque communautaire et le règlement (CE) no 2868/95 de la Commission portant modalités d’application du règlement (CE) no 40/94 du Conseil sur la marque communautaire, et abrogeant le règlement (CE) no 2869/95 de la Commission relatif aux taxes à payer à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) ;  Règlement (CE) N° 2868/95 De la Commission du 13 décembre 1995 portant modalités d’application du règlement (CE) no 40/94 du Conseil sur la marque communautaire).

La sortie du Royaume Uni de l’UE aura pour conséquence que ces règlements ne lui seront plus applicables de la même manière que plus aucun règlement européen ne lui sera applicable. On mesure ici l’ampleur des conséquences de cette sortie.

Ainsi les marques et modèles européens ne couvriront plus le Royaume Uni. Reste à savoir ce qui sera décidé pour les marques et modèles déposés avant cette sortie. Garderont-ils effet pour le Royaume Uni ? Des mesures du type de la procédure existant pour la marque européenne, de conversion en marque nationale, pour la partie nationale anglaise, seront-elles prévues ? On peut l’imaginer en tout cas.

En revanche les dispositions des Directives d’harmonisation d’ores et déjà intégrées dans le droit national auront vocation à perdurer. Il est toutefois à noter que désormais, le Royaume Uni pourra cependant modifier son droit comme il l’entendra.

Les règles aujourd’hui harmonisées entre les Etats membres relatives à l’acquisition des droit par le dépôt, les conditions de validité, la procédure d’opposition, ou l’appréciation de la contrefaçon en matière de marque ou bien encore les dispositions relatives aux modèles telles que les notions de produit complexe, d’utilisateur informé ou averti, seront-elles ainsi conservées ? L’avenir le dira.

Enfin, la question de la transposition de la nouvelle Directive (UE) 2015/2436 du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques se pose de manière très directe.

D’ores et déjà, pour tout nouveau dépôt, il est utile de réfléchir à  procéder concomitamment au dépôt d’une marque européenne ou d’un modèle européen, à un dépôt national britannique (directement ou via les systèmes de Madrid ou de La Haye qui restent inchangés)  si le Royaume Uni est un territoire essentiel pour l’exploitation envisagée,  faute de connaître aujourd’hui les mesures qui seront adoptées.

Par ailleurs, si la marque ou le modèle doit faire l’objet d’un contrat de licence, il parait important que ce contrat soit d’ores et déjà rédigé en prévision de la sortie du Royaume Uni de l’Union européenne, avec une définition claire des territoires concernées et des règles de compétence et de loi applicables en cas de litige.

De ce point de vue, il semble que de rapides négociations en cette matière s’imposent non seulement pour la sauvegarde des titres délivrés ou en voie de délivrance, mais également pour tous les actes juridiques qui s’y attachent.

La question de savoir comment les titulaires pourront faire valoir leurs droits issus de l’enregistrement européen d’une marque ou d’un modèle se pose également puisque les tribunaux anglais de marques et modèles européens devraient disparaitre et avec eux, notamment la possibilité pour une société anglaise qui assignerait dans son pays d’obtenir des décisions valables sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne.  De même, le droit de se prévaloir au Royaume Uni d’un modèle non enregistré tel que prévu par le règlement européen des modèles semble compromis.

Il est à noter aussi que les mandataires britanniques ne pourront plus représenter leurs clients devant les offices nationaux de propriété industrielle étrangers, représentation rendue possible du fait  du principe de la libre prestation de services, ni devant l’EUIPO.

Les obtentions végétales pour lesquelles un titre européen valable dans tous les Etats membre de l’UE a été prévu par le Règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil, du 27 juillet 1994, sont également concernées. Les mêmes incertitudes existent. En matière de médicament, les autorisations de mise sur le marché par l’Agence européenne du médicament, dont le siège est à Londres ( !)  devront également faire l’objet de dispositions transitoires pour leur maintien en vigueur sur le territoire anglais. De même, le Royaume Uni ne relèvera plus du règlement européen sur les certificats complémentaires de protection.

Devra par ailleurs être réglée la protection des appellations et indications d’origine relatives aux vins et aux produits alimentaires, lesquelles font l’objet également de divers règlements européens.

Les droits des auteurs, quant à eux, n’ont pas fait à ce jour l’objet d’une harmonisation communautaire à l’instar des droits précédents. Leur situation ne devrait pas être fondamentalement modifiée.

Selon le CIPA, l’organisme professionnel qui représente les Conseils en Propriété Intellectuelle britanniques, le gouvernement britannique pourrait voter une loi pour maintenir en bloc la masse de législation européenne en vigueur au Royaume-Uni en matière de propriété intellectuelle, le temps, nécessaire pour aménager chaque disposition légale avant la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne, manquant.  Les britanniques s’attendent notamment à ce que soient maintenues les dispositions actuelles se rapportant aux modèles non enregistrés et aux certificats complémentaires de protection associés aux brevets européens. Ceci étant, l’effet unitaire des modèles non enregistrés sur le territoire européen ne pourra en aucun cas être maintenu du seul fait unilatéral du Royaume Uni.

En revanche, la sortie du Royaume Uni de l’Union Européenne a des conséquences importantes sur d’autres aspects des droits de PI et tout particulièrement le devenir du principe de la libre circulation des marchandises et de l’épuisement des droits au Royaume Uni ou bien encore du dernier Règlement des douanes 608/2013. Il en va de même de tous les autres règlements susceptibles d’avoir des effets dans ce domaine, que ce soit les règlements relatifs aux transferts de technologie, droit de la concurrence et autres.

On le voit, l’impact de cette sortie pour la propriété industrielle est énorme et le chantier qui s’annonce est immense.

Bien sûr, dans le cadre d’une Europe et d’une économie globalisées, il parait difficile de penser que le Royaume Uni puisse s’exclure totalement d’un système de règles auquel il collabore depuis si longtemps. Reste néanmoins à savoir dans quelles conditions interviendront les négociations à venir car les Etats membres pourraient ne pas voir d’un bon œil que le Royaume Uni retrouve les bénéfices tels que l’attribution d’une agence ou d’une division centrale sur son territoire, d’une situation qu’il a voulu quitter sans en supporter les conséquences, notamment en terme de liberté de circulation des personnes et des biens et des services.

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