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2016/03 > Respect des droits de PI : la réparation des dommages sur une base forfaitaire n’exclut pas la réparation du préjudice moral

La directive 2004/48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle a donné, à la partie lésée, la possibilité de choisir pour la réparation de son préjudice, entre différentes méthodes d’évaluation de celui-ci et de sa réparation. En application de son article 13, paragraphe 1, les autorités judiciaires peuvent ainsi calculer le montant des dommages-intérêts dus au titulaire des droits lésés, soit en fonction de toutes les conséquences négatives de la contrefaçon, soit sur la base d’un forfait fondé sur une redevance de licence fictive. Cet article dispose en effet :

« Les États membres veillent à ce que, à la demande de la partie lésée, les autorités judiciaires compétentes ordonnent au contrevenant qui s’est livré à une activité contrefaisante en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir de verser au titulaire du droit des dommages-intérêts adaptés au préjudice que celui-ci a réellement subi du fait de l’atteinte.

Lorsqu’elles fixent les dommages-intérêts, les autorités judiciaires :

a)    prennent en considération tous les aspects appropriés tels que les conséquences économiques négatives, notamment le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant et, dans des cas appropriés, des éléments autres que des facteurs économiques, comme le préjudice moral causé au titulaire du droit du fait de l’atteinte,

b)   ou à titre d’alternative, peuvent décider, dans des cas appropriés, de fixer un montant forfaitaire de dommages-intérêts, sur la base d’éléments tels que, au moins, le montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrevenant avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit de propriété intellectuelle en question. »

Le paragraphe a) de cet article propose ainsi une méthode analytique permettant au juge de calculer les dommages et intérêts en prenant en compte différents chefs de préjudice principalement économiques, alors que la méthode de calcul prévue à l’article 13, paragraphe 1, b) permet d’évaluer forfaitairement la réparation du dommage sans toutefois établir l’étendue du préjudice réellement subi.

Cette indemnisation forfaitaire du préjudice matériel peut-elle alors être cumulée avec une somme réparant le préjudice moral ?

Cette question est l’objet d’une demande de décision préjudicielle posée devant la CJUE et discutée par les autorités judiciaires espagnoles pour les faits suivants:

Reprochant à une société de production la réalisation d’un documentaire audiovisuel incluant des passages d’une de ses œuvres audiovisuelles sans son autorisation, le titulaire des droits sur ces œuvres, a assigné ladite société, ainsi que la société télévisuelle ayant diffusé le documentaire, aux fins d’obtenir la cessation de la violation de ses droits de propriété intellectuelle et de demander la réparation pécuniaire pour violation de ses droits d’exploitation et son préjudice moral. Le mode de calcul choisi par le titulaire a été une évaluation forfaitaire de l’un et l’autre des préjudices qu’il prétendait avoir subi.

Le Tribunal en première instance, fit droit à sa demande et lui accorda des sommes sur cette base de calcul tant en réparation du préjudice matériel subi que du préjudice moral. Ce cumul d’indemnisation contesté par les sociétés condamnées le fut également par les juges d’appel qui refusèrent d’indemniser du chef du préjudice moral dans un tel cas en s’appuyant sur l’article 140 de la loi sur la propriété intellectuelle espagnole, dont la rédaction diffère quelque peu de la rédaction de la directive. La Cour d’Appel estima en effet que celui qui choisit le mode de calcul fondé sur les redevances n’est plus fondé à réclamer, en outre, l’indemnisation de son préjudice moral.

La Cour Suprême espagnole (Tribunal Supremo)  a alors demandé à la CJUE d’interpréter l’article 13, paragraphe 1 de la directive de 2004. Celle-ci a rendu sa décision le 17 mars 2016 (Aff. C-99/15 du 17 mars 2016 – Christian Liffers contre Producciones Mandarina SL, Mediaset Espana Comunicacion SA).

La Cour relève notamment que :

  • la disposition, en prévoyant la possibilité de fixer un montant forfaitaire de dommages-intérêts sur la base, «au moins», des éléments qui y sont mentionnées, permet d’inclure dans ce montant d’autres éléments, tels que, le cas échéant, l’indemnisation du préjudice moral causé au titulaire de ce droit,
  • le premier alinéa de l’article 13, paragraphe 1, établit une règle générale selon laquelle les autorités judiciaires compétentes doivent ordonner au contrevenant le versement, au titulaire du droit de propriété intellectuelle lésé, des dommages-intérêts «adaptés au préjudice que celui-ci a réellement subi du fait de l’atteinte». Or, comme l’a observé M. l’avocat général Melchior, un préjudice moral, tel qu’une atteinte à la réputation de l’auteur d’une œuvre, constitue, à la condition qu’il soit établi, une composante du préjudice réellement subi par ce dernier.
  • Eu égard aux objectifs de la directive 2004/48, il convient d’interpréter l’article 13, paragraphe l, premier alinéa, de celle-ci en ce sens qu’il établit le principe selon lequel le calcul du montant des dommages-intérêts à verser au titulaire d’un droit de propriété intellectuelle doit viser à garantir à ce dernier la réparation intégrale du préjudice qu’il a «réellement subi» en y incluant également l’éventuel préjudice moral survenu.

Elle dit ainsi pour droit :

L’article 13, paragraphe 1, de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle, doit être interprété en ce sens qu’il permet à la personne lésée par une violation de son droit de propriété intellectuelle, qui réclame une indemnisation de son dommage matériel calculée, conformément au second alinéa, sous b), du paragraphe 1, de cet article, sur la base du montant des redevances ou des droits qui lui auraient été dus si le contrevenant lui avait demandé l’autorisation de faire usage du droit de propriété intellectuelle en cause, de réclamer de surcroît l’indemnisation de son préjudice moral telle qu’elle est prévue au paragraphe 1, second alinéa, sous a), dudit article.

Cette décision présente l’intérêt de clarifier dans les différents Etats-membres de l’UE les différents chefs de préjudice qui doivent être pris en compte pour réparer l’atteinte subie du fait de la contrefaçon, quel que soit le mode d’évaluation retenu pour le calcul de l’indemnité destinée à réparer cette atteinte.

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