Un revirement salué de la Cour de cassation sur l’exigence d’indépendance du tiers acheteur lors de la réalisation d’un constat d’achat
Cour de cassation, Ch. Mixte, 12 mai 2025, n° 22-20.739
Les aspects procéduraux sont souvent centraux dans les contentieux de la propriété intellectuelle.
Dans un important arrêt du 12 mai 2025, la chambre mixte de la Cour de cassation a opéré un revirement attendu de jurisprudence sur la question délicate de la validité des constats d’achat, réalisés par un commissaire de justice dans le cadre d’une action en contrefaçon.
Depuis un arrêt du 25 janvier 2017, rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. Civ. 1, 25 janvier 2017, n° 15-25.210), il était exigé, à peine de nullité du procès-verbal de constat, que le tiers procédant à l’achat du produit argué de contrefaçon soit indépendant de la partie requérante. Ce tiers ne pouvait, dès lors, pas être un stagiaire ou un collaborateur du cabinet d’avocats de la requérante, ce qui complexifiait considérablement l’usage de ce moyen de preuve et remettait en cause les pratiques établies en la matière.
Cette position stricte est désormais assouplie.
En effet, la chambre mixte juge à présent que l’absence de garanties concernant l’indépendance du tiers acheteur à l’égard du requérant n’est pas suffisante, en tant que telle, pour entrainer la nullité du procès-verbal de constat d’un achat établi par un commissaire de justice dans le but de rapporter la preuve d’actes de contrefaçon. Dans ce type d’hypothèse, il revient au juge du fond d’apprécier souverainement, au regard de l’ensemble des faits de l’espèce, si ce défaut d’indépendance altère la force probante du constat.
Ce revirement bienvenu pour les praticiens répond aux nombreuses critiques, tant doctrinales que jurisprudentielles. A l’occasion de plusieurs arrêts, la Cour d’appel de Paris avait ainsi manifesté sa réticence à appliquer la solution de 2017, soulignant que la qualité de stagiaire avocat du tiers acheteur n’altérait pas l’objectivité des constatations du commissaire de justice, en l’absence de stratagème ou de manœuvre déloyale démontrée lors de la réalisation des opérations de constat.
Avec ce changement de position, la Cour de cassation vient rompre avec la rigueur antérieure qui assimilait de facto ce type de constat à une saisie-contrefaçon déguisée. Elle clarifie ainsi la distinction entre le constat d’achat, où le commissaire de justice observe les faits de manière externe dans un lieu ouvert au public, et la saisie-contrefaçon, qui suppose l’intervention intrusive d’un tiers dans les locaux du présumé contrefacteur, ou d’un tiers. La solution semble proche de l’ancienne jurisprudence de la Cour d’appel de Paris qui rejetait les demandes de contestation formelles en l’absence d’allégations de stratagème ou de manœuvre déloyale.
Dans le cadre d’un constat d’achat, le rôle du tiers acheteur est limité et encadré par le commissaire de justice, ce qui justifie qu’il ne soit pas nécessaire de répondre à des exigences de neutralité à son égard.
Cette décision de la Cour de cassation est également conforme à l’article 3 de la directive 2004/48 CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, qui impose que les moyens d’obtention et de conservation des éléments de preuve soient efficaces, proportionnés et non inutilement complexes.
Outre la seule problématique du constat d’achat, cette décision s’inscrit dans une volonté plus large de la Cour de cassation de clarifier les règles applicables pour les praticiens en matière probatoire, afin de renforcer la sécurité juridique et faciliter l’accès à la preuve pour les requérants. Elle pourrait s’inscrire dans l’évolution des pratiques devant la nouvelle Juridiction Unifiée du Brevet, ayant une approche beaucoup plus permissive de la recevabilité des preuves en matière de contentieux des brevets européens.