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Arrêt Bull de la Cour de cassation du 11 janvier 2023 : sur le caractère technique des inventions mises en œuvre par ordinateur en France

Après plusieurs années d’attente, la Cour de cassation a rendu ce 11 janvier 2023 son arrêt concernant la demande de brevet de Bull rejetée par l’INPI pour défaut de caractère technique.
Sur la base de la jurisprudence antérieure, l’INPI avait rejeté la demande de brevet au motif que celle-ci portait sur une méthode intellectuelle mise en œuvre par des moyens techniques génériques et était, de ce fait, exclue de la brevetabilité. Néanmoins, suite au recours formé par Bull, la Cour d’appel avait annulé la décision de rejet de l’INPI. Allant à l’encontre de la jurisprudence antérieure, la Cour d’appel avait considéré que l’utilisation de moyens techniques permet en soi de conférer un caractère technique aux inventions, appliquant ainsi le critère « Hitachi » utilisé de longue date à l’OEB. En rejetant le pourvoi formé par l’INPI, la Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel. Dès lors, il est à prévoir que la pratique de l’INPI, en ce qui concerne l’examen des inventions mises en œuvre par ordinateur, évoluera pour adopter le critère « Hitachi ».
Nous résumons ci-dessous l’affaire et ses conséquences.

 

La demande de brevet de Bull

Le 2 juin 2016, la société Bull dépose une demande de brevet (1) portant sur un « terminal pour l’établissement de communications par diffusion à l’intérieur d’un groupe » et s’appliquant en particulier aux terminaux utilisés sur les théâtres d’opération militaire. Plus précisément, la demande de brevet indique que le problème résolu par l’invention est de permettre à un combattant d’obtenir sur un écran une visualisation globale des informations de plusieurs combattants (telles que les capacités opérationnelles) déployés sur un théâtre d’opération militaire.

À cet effet, la revendication principale de la demande de brevet vise un terminal de communication comportant des moyens pour effectuer différentes étapes liées à l’affichage sur le terminal d’informations relatives à un groupe d’utilisateurs. En outre, il est décrit dans la demande de brevet que le terminal comprend notamment un microprocesseur, un moyen de stockage, une interface de communication et un écran – c’est-à-dire qu’il dispose de l’architecture matérielle d’un ordinateur.

Le rejet de la demande de brevet par l’INPI pour non-invention

1/ Dès l’examen technique de la demande de brevet, le 9 novembre 2016, une notification (2) est émise par l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) pour non-invention, considérant que la demande de brevet porte sur une méthode intellectuelle en tant que telle et est donc exclue de la brevetabilité au sens de l’article L. 611-10 du Code de la propriété intellectuelle (CPI). Il est en particulier observé par l’Examinateur que l’utilisation de moyens de calcul non spécifiques – en l’espèce, un terminal – ne suffit pas à conférer un caractère technique à l’objet de la demande.

Puis, le 20 août 2018, le Directeur Général de l’INPI rejette la demande de brevet. La décision de rejet indique que la solution proposée concerne une méthode intellectuelle mise en œuvre par des moyens informatiques génériques. Pour cette raison, la décision parvient à la conclusion que l’objet des revendications relève d’une méthode intellectuelle en tant que telle et ne peut être considéré comme une invention au sens de l’article L. 611-10 CPI. Cette décision de rejet est conforme à la jurisprudence française établie jusqu’alors.

2/ En effet, la Cour d’appel de Paris, dans l’arrêt Sagem du 10 janvier 2003 (3), a considéré que le fait « d’utiliser des moyens techniques à des fins exclusivement non techniques et/ou pour traiter des informations foncièrement non techniques, ne confère pas nécessairement un caractère technique à chaque étape de la méthode ou à la méthode dans son ensemble ». Des motifs similaires ont conduit plus tard la Cour d’appel de Paris dans son arrêt du 15 mars 2006 (4) à confirmer le rejet d’une demande de brevet utilisant des moyens techniques génériques pour mettre en œuvre une méthode économique.

Ainsi, sur la base de ces arrêts, les Directives de l’INPI (5) indiquent que l’utilisation de moyens techniques non spécifiques, c’est-à-dire qui ne sont pas caractérisés sur un plan technique mais simplement par le fait qu’ils sont mis en œuvre à des fins non techniques, ne confère pas un caractère technique à l’invention. En revanche, les Directives de l’INPI précisent qu’une contribution au caractère technique peut notamment être apportée par une solution technique à un problème technique utilisant des moyens techniques spécifiques.

Le 21 septembre 2018, Bull forme un recours devant la Cour d’appel de Paris à l’encontre de cette décision de rejet.

L’annulation du rejet par la Cour d’appel et la confirmation par la Cour de cassation

Suite à ce recours, la Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 22 novembre 2019 (6), annule la décision de rejet de l’INPI. La Cour d’appel considère que l’objet de la demande de brevet porte sur « un terminal pour l’établissement de communications comprenant un microprocesseur, des moyens de stockage […], de sorte que l’objet de la demande ne concerne pas qu’une méthode dans l’exercice d’activités intellectuelles en tant que telle au sens de l’article L. 611-10 ». De plus, la Cour observe que l’utilisation de moyens techniques – spécifiques ou non – pour mettre en œuvre une méthode intellectuelle peut conférer à cette méthode un caractère technique.

Cet arrêt de la Cour d’appel divergeant de la jurisprudence antérieure, l’INPI s’est pourvu en cassation. Dans son arrêt du 11 janvier 2023 (7), la Cour de cassation rejette le pourvoi de l’INPI, jugeant que « Le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l’encontre de la décision attaquée, n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation. » La Cour de cassation confirme, ainsi, l’arrêt rendu par la Cour d’appel.

Dès lors, il convient de s’interroger sur les conséquences de cet arrêt sur la brevetabilité en France des inventions mises en œuvre par ordinateur.

Vers l’adoption du critère « Hitachi » en France ?

L’arrêt Bull rendu par la Cour de cassation ce 11 janvier 2023 confirme que la simple utilisation de moyens techniques permet de conférer un caractère technique aux inventions. Pour cette raison, l’essentiel de l’examen de la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur par l’INPI devrait désormais se jouer au niveau de l’activité inventive, le caractère technique étant en soi conféré par l’utilisation d’un ordinateur.

Vraisemblablement, cet arrêt conduira à une harmonisation entre la pratique de l’INPI et celle de l’Office européen des brevets (OEB) quant à l’appréciation du caractère technique des inventions mises en œuvre par ordinateur, et donc une mise à jour des Directives de l’INPI. En effet, depuis la décision T258/03 (8), l’OEB applique le critère dit « Hitachi » en considérant que l’utilisation de moyens techniques permet de conférer un caractère technique à l’invention, et en examinant par conséquent la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur sur le plan de l’activité inventive.

Rédigé par Simon Bicaïs et François Delumeau.

Références

(1) Demande de brevet, déposée par Bull, et publiée sous le n° FR3052274A1, le 8 décémbre 2017
(2) Notification émise par l’INPI, le 9 novembre 2016, pour la demande de brevet n° FR1600894
(3) Arrêt de la Cour d’appel de Paris, 4ème chambre, section B, 10 janvier 2003, n° RG 2002/08786
(4)
Arrêt de la Cour d’appel de Paris, 7ème chambre, section A, 15 mars 2006, n° RG 04/22103
(5) Directives de l’INPI, Procédure de délivrance, Section C, Chapitre VII Brevetabilité, 1. Invention
(6)
Arrêt de la Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Chambre 2, 22 novembre 2019, n° RG 18-21161
(7)
Arrêt de la Cour de cassation, chambre B, 11 janvier 2023, pourvoi n° Z 20-10.935
(8)
Décision de la Chambre de recours technique 3.5.1 de l’OEB, 21 avril 2004, T 258/03

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