La Cour d’Appel de la JUB clarifie la démarche à adopter pour apprécier l’activité inventive
La Cour d’Appel (CoA) de la Juridiction Unifiée du Brevet (JUB) a rendu, le 25 novembre dernier, deux décisions très attendues dans les affaires Edwards v. Meril et Amgen v. Sanofi/Regeneron. Ces décisions s’inscrivent dans la continuité de l’ordonnance du 26 février 2024 dans l’affaire Nanostring v. 10x Genomics qui posait le principe directeur d’interprétation des revendications pour la validité et la contrefaçon, et proposait une première approche pour évaluer l’activité inventive, dans le contexte d’une demande d’interdiction provisoire.
Ces deux décisions clarifient la démarche à adopter pour apprécier l’activité inventive devant la JUB. Si cette démarche s’inspire de l’approche problème-solution (APS) développée par la Jurisprudence des Chambres de Recours (CdR) de l’Office Européen des Brevets (OEB), elle présente toutefois certaines spécificités. A l’instar de l’APS, elle se décompose en plusieurs étapes successives qui peuvent se résumer comme suit :
1. Détermination du « problème objectif »
La CoA indique que cette détermination est faite à partir de la contribution de l’invention par rapport à l’état de l’art. La CoA adopte une approche dite « holistique » prenant en compte la revendication dans son ensemble dans le contexte de la description et des dessins, plutôt qu’une évaluation caractéristique par caractéristique, ce qui semble vouloir apporter une différence par rapport à l’APS. En pratique, la CoA se fonde sur l’objectif et les effets techniques expressément décrits dans le brevet pour formuler le problème objectif.
De manière similaire à ce qui est pratiqué devant l’OEB, la CoA précise que le problème objectif retenu ne doit pas comprendre d’élément de la solution revendiquée afin d’éviter un raisonnement a posteriori.
2. Détermination du « point de départ réaliste »
La CoA reprend l’expression « point de départ réaliste », précédemment introduite dans la décision Amgen v. Sanofi/Regeneron de première instance. Le problème objectif déterminé en 1. permet de déterminer ce point de départ qui doit présenter un enseignement d’intérêt pour une personne du métier cherchant à résoudre le problème objectif à la date de priorité du brevet.
La CoA précise que plusieurs points de départ réalistes peuvent être retenus, semblant ainsi vouloir marquer une nuance avec la notion d’état de la technique le plus proche utilisée devant l’OEB. La CoA retient que le point de départ réaliste peut traiter du même problème ou d’un problème similaire que le problème sous-jacent du brevet en cause et/ou divulguer plusieurs caractéristiques similaires à celles pertinentes pour l’invention. Cette dernière condition pourrait matérialiser une volonté de la CoA de disposer de plus de souplesse dans le choix du point de départ par rapport à l’APS de l’OEB fondée, en premier lieu, sur une proximité en termes de problème technique, plutôt que sur un nombre de caractéristiques de la revendication divulguées.
3. Etape inventive
De manière similaire à la pratique de l’OEB, la CoA indique que la personne du métier n’a aucune capacité inventive, ni imagination. Selon la CoA, une solution est dépourvue d’activité inventive si la personne du métier, incitée par un pointeur ou dans le cadre d’une opération de routine, effectuerait à partir du point de départ réaliste une étape supplémentaire pour aboutir à l’invention. Toutefois, contrairement à l’APS de l’OEB, le problème objectif n’est pas nécessairement pris en compte dans cette étape.
La CoA ajoute, dans l’affaire Edwards v. Meril, qu’il n’est pas nécessaire de démontrer que l’invention apporte une amélioration par rapport à l’état de l’art, une activité inventive pouvant être reconnue même si la revendication constitue une alternative non-évidente à des solutions connues. Dans cette affaire, la CoA confirme la décision de la Division Centrale de Paris de considérer valable une version limitée du brevet en notant le manque de motivation pour la personne du métier à retrouver l’invention.
Dans l’affaire Amgen v. Sanofi/Regeneron qui concerne le domaine des sciences de la vie, la CoA indique qu’une solution est évidente si la personne du métier aurait réalisé l’étape supplémentaire en vue d’obtenir l’invention avec une espérance de réussite raisonnable. La CoA prend une approche pragmatique pour évaluer cette espérance de réussite en appréciant les difficultés techniques ou pratiques ainsi que les coûts associés à la mise en œuvre de cette étape. La CoA fournit un raisonnement détaillé et conclut à la validité du brevet tel que délivré. Cette conclusion rejoint celle de la division d’opposition de l’OEB dans la procédure d’opposition parallèle, mais infirme celle de la Division Centrale de Munich qui avait révoqué le brevet.
L’approche de la CoA présente indéniablement des similarités avec l’APS de l’OEB. La CoA indique d’ailleurs que les approches des tribunaux nationaux, d’une part, et l’APS, d’autre part, ne devraient en général pas aboutir à des résultats différents. Dans le même temps, la démarche de la CoA apporte certaines spécificités, notamment en ce qui concerne le « problème objectif », qui pourraient résulter en des conclusions différentes de celles des CdR. Il sera intéressant de voir si les CdR ajusteront ou non leur pratique pour se rapprocher de la position de la JUB, à l’instar de ce qui semble être le message porté par la Grande Chambre de Recours de l’OEB dans sa décision G 1/24, au moins en ce qui concerne l’interprétation des revendications. En particulier, l’issue de la procédure de recours sur opposition devant l’OEB du brevet EP 3 666 797, objet de la décision Amgen v. Sanofi/Regeneron, sera intéressante à examiner. Dans cette affaire, la procédure orale devant la CdR est fixée au mois d’avril 2026 et l’OEB aura donc le dernier mot sur la validité.