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2022/03 > La protection des consommables par le droit des dessins et modèles : un sujet pas si complexe pour l’EUIPO ?

Qu’il s’agisse de cartouches d’encre pour imprimantes, de piles électriques ou encore de cartouches de jeux vidéo, les consommables sont des produits de consommation courante le plus souvent de courte durée de vie, qui doivent être fréquemment renouvelés.

Ils sont parfois considérés comme des marchés captifs au motif qu’ils rendraient le consommateur dépendant de leur fabricant. Tel peut être le cas lorsque le fabricant de ces consommables est  également le fabricant du produit avec lequel ils sont destinés à fonctionner et qu’il crée sur ces consommables un monopole par le biais des dessins et modèles. Leur protection autonome par le droit des dessins et modèles relève donc d’un enjeu économique majeur. Toute la question est ainsi de savoir si ces consommables doivent être considérés comme des pièces de produits complexes au motif qu’ils sont destinés à être associés à un autre produit et ne peuvent alors être protégés que dans les conditions strictes attachées à ces pièces de produits complexes, ou bien s’ils peuvent être considérés comme des produits autonomes.

L’EUIPO (l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle) s’est enfin prononcé sur cette question par deux décisions des 16 juillet et 23 août 2021 concernant des dessins et modèles enregistrés appliqués à un sac pour aspirateur(1)  de l’entreprise allemande d’appareils électroménagers Miele pour la première, et une électrode pour torches de découpe plasma(2) de l’entreprise américaine Hypertherm pour la seconde.

Remise en contexte du produit complexe

Au sens du droit européen, est qualifié de produit complexe « un produit se composant de pièces multiples qui peuvent être remplacées de manière à permettre le démontage et le remontage du produit.»(3). Cette disposition a été transposée en droit français dès 2001 à l’article L.511-5 du Code de la propriété intellectuelle sans toutefois que soit reprise la mention « de manière à permettre le démontage et le remontage du produit ». Ainsi, cet article se contente de définir un produit complexe comme  « un produit composé de pièces multiples qui peuvent être remplacées ». On observera que, de ce fait, la définition française, non conforme à la définition de la Directive, est beaucoup plus large que cette dernière.

S’agissant des conditions de protection des pièces de produit complexe, les critères d’appréciation sont identiques en droit communautaire(4) et en droit français(5). Ainsi, sont uniquement protégeables les pièces de produit complexe répondant à l’exigence de visibilité au cours de l’utilisation normale dudit produit par l’utilisateur final, pourvu que ces caractéristiques visibles remplissent en tant que telles les conditions de nouveauté et de caractère propre. Dans les deux textes, l’utilisation normale s’entend d’une « utilisation par l’utilisateur final, à l’exception de l’entretien, du service ou de la réparation. »(6) 

Les consommables, des produits autonomes…

La Chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), dans les deux décisions mentionnées, annule les décisions d’annulation des modèles rendues en première instance et déclare que les produits objet des dessins ou modèles contestés ne sont pas des pièces de produit complexe mais bien des produits autonomes. Dans ces deux affaires, la question centrale était de savoir si les dessins ou modèles contestés relevaient de la catégorie des pièces de produit complexe au sens des articles 3 (c) et 4 (2) du règlement n° 6/2002 ou pouvaient être considérés comme des produits autonomes.

L’Office établit en premier lieu dans son analyse une différence entre les pièces ordinaires et les pièces consommables, ces dernières étant destinées à être régulièrement achetées, car rapidement usagées et nécessitant d’être fréquemment remplacées.

Dans ce contexte, il fait référence à une décision Acacia(7) rendue le 20 décembre 2017, à propos de jantes automobiles en alliage, dans laquelle la Cour de Justice de l’Union européenne avait pu affirmer que « il y a lieu de considérer que, par “pièces d’un produit complexe”, l’article 110, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 vise les multiples composants, conçus pour être assemblés en un article industriel ou artisanal complexe, qui peuvent être remplacés de manière à permettre le démontage et le remontage d’un tel article, en l’absence desquels le produit complexe ne pourrait faire l’objet d’une utilisation normale. ».

Si la Chambre des recours affirme dans un premier temps que les aspirateurs en eux-mêmes relèvent de la définition des produits complexes fixée par l’article 3 (c) du règlement n° 6/2002, ces produits peuvent cependant être mis en vente et sont promus indépendamment du sac pour aspirateur visé par la demande en nullité ; une fois plein, le sac est jeté et non réutilisé et l’aspirateur lors du remplacement du sac, n’est pas démonté et remonté (§ 26, R 299/2021-3).

Dans la seconde décision rendue, la Chambre relève de même que le système de découpe et de torche n’est ni démonté ni remplacé lors du remplacement ou du changement d’une électrode, « comme l’exige la définition visée à l’article 3, point c), du RDC » (§29).

De plus, l’absence de sacs ou d’électrode ne permet pas de considérer le produit complexe comme défectueux. En effet, l’absence de sac dans un aspirateur(8) ou l’absence d’électrode dans une torche à arc plasma(9) n’entraîne pas la défectuosité des produits complexes qu’ils incorporent et les produits complexes que sont les aspirateurs et les torches de découpe plasma demeurent des produits complets. Enfin, le fait que différents types de torches puissent utiliser la même électrode montre que cette dernière n’est pas un composant de la torche elle-même.

Dans ces conditions, bien que l’utilisation normale d’un aspirateur requière un sac ou bien encore une électrode, pour la torche, ce sac ou cette électrode ne peuvent être considérés pour autant comme des pièces de produit complexe au sens de l’article 4(2) du règlement n° 6/2002(10) mais bien comme  des produits autonomes.

… soumis aux conditions classiques de protection des dessins et modèles

Ainsi, ces produits consommables peuvent bénéficier d’une protection autonome et indépendante quand bien même ils sont destinés à être incorporés dans des produits complexes.

La condition du caractère apparent est alors appréciée au moment de l’achat du produit, le critère de visibilité au moment de l’utilisation normale du produit étant spécifique aux pièces de produit complexe et n’étant par conséquent plus applicable à ces produits.

Les conditions de caractère propre et de nouveauté restent par ailleurs applicables. Enfin, les produits consommables dont la forme serait imposée par des contraintes techniques seront exclus de toute protection par le droit des dessins et modèles.

Une question qui fait couler de l’encre

La Chambre des recours de l’EUIPO adopte ainsi une interprétation stricte de la notion de « pièces de produit complexe » résultant du règlement n° 6/2002 et ouvre la porte à la protection par modèle des consommables.

Ces deux décisions de la Chambre des recours de l’EUIPO s’inscrivent dans un débat jurisprudentiel riche et aux enjeux complexes. La question de la protection des cartouches d’encre pour imprimantes en tant que consommables s’est notamment précédemment posée à différentes reprises. Dans deux affaires Samsung/Maxperian(11), le Tribunal de district de La Haye avait ainsi considéré que le dessin ou modèle appliqué à une cartouche d’encre ne répondait pas à la définition d’une « pièce de produit complexe », l’imprimante devant être considérée comme un produit complexe complet par lui-même. En France, le Tribunal de Grande Instance de Paris(12)  avait quant à lui adopté une solution toute autre en prononçant la nullité de modèles appliqués à une cartouche d’encre en raison du caractère non apparent de cette dernière : « ces dessins et modèles sont incorporés dans un produit complexe qu’est l’imprimante et invisibles dans le cadre d’une utilisation normale des cartouches d’encre et sont donc dépourvus de nouveauté et de caractère individuel au sens de l’article L 511-5 du Code de la propriété intellectuelle et 4.2° a) du règlement sur les dessins et modèles communautaire. ».

Au regard des récentes décisions rendues par la Chambre des recours de l’EUIPO, la jurisprudence française pourrait être amenée à évoluer et ce d’autant qu’elle s’appuie sur une transposition erronée de la Directive [CE] n° 98/71 du 13 octobre 1998.

Pour l’heure, un recours a été introduit le 24 septembre 2021 devant le Tribunal de l’Union européenne(13) dans l’affaire concernant le modèle d’électrode.

(1) EUIPO, BOA, aff. R 299/2021-3 du 23 Août 2021, Miele Computer Cie. KG  c. Green label Manufacturing Europe Limited

(2) EUIPO, BOA, aff. R 2843/2019-3 du 16 Juillet 2021,  Hypertherm, Inc. c. B&Bartoni, spol. s r.o.

(3)  Article premier [c] de la directive [CE] n° 98/71 du 13 octobre 1998 sur la protection juridique des dessins ou modèles puis article 3 (c) du règlement [CE] n° 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires

(4) Règlement [CE] n°6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires, article 4 (2)

(5) Article L. 511-5 du Code de la propriété intellectuelle

(6) Article 4.3 du règlement [CE] n° 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires  ; Article L. 511-5 a)  du Code de la propriété intellectuelle

(7) CJUE, 20 Décembre 2017, C-397/16 et C-435/16, Acacia Srl c. Pneusgarda Srl & Audi AG et Acacia Srl et Rolando D’Amato contre Dr. Ing. h.c.F. Porsche AG, ECLI:EU:C:2017:992 , §65

(8)  Ibid

(9)  §29, R 2843/2019-3 du 16 juillet 2021

(10) §27-28, R 299/2021-3 du 23 août 2021

(11) District Court of The Hague, C/09/456760/HA ZA 13-1409 Samsung Electronics Co., Ltd. versus Maxperian NL B.V & C/09/456763/HA ZA 13-1411 , and No C September 456763/HA ZA 13-1411, Samsung Electronics Co., Ltd. versus Digital Revolution B.of 30 November 2016

(12) TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 15 avr. 2010, n° 09/00817, Seiko Epson, Epson c. Pearl Diffusion

(13) TUE, recours pendant, aff. T-617/2, B&Bartoni c. EUIPO – Hypertherm, Inc.

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